Dernière plaidoirie
Scrogn | 18 mai 2007Juste pour savoir ce que vous en pensez…
DERNIÈRE PLAIDOIRIE
» Venez-en au fait, Maître Fuerte ! Venez-en enfin au fait ! Si vous pouviez faire un effort ! Je ne vous reconnais pas. »
Ainsi interpellé, l’avocat sentit ses derniers étais psychologiques cédés devant tant d’agressivité. Trop de pression, trop de catastrophes… Tout s’écroulait. Aussi, Maître Fuerte prit sa meilleure décision depuis fort longtemps. Il s’écroula lui-même, en perdant connaissance, au beau milieu du tribunal, sous les yeux de tous.
Il faut dire que sa journée avait été parfaitement catastrophique. Il s’était réveillé frigorifié, avec une sinistre impression que dorénavant, tout irait très mal pour lui, et surtout avec cette douleur lancinante au creux de l’estomac, comme si on l’avait poignardé. Pourtant, il s’était taillé une belle réputation au sein de sa société d’accueil. Lui, le petit mexicain qui, fuyant la misère de son pays, avait obtenu tous ses papiers en règle pour immigrer dans un pays opulent. Il avait abandonné, sans trop de regret, sa famille au pays. De toute manière, celle-ci l’avait laissé grandir avec une certaine désinvolture qui l’avait toujours meurtri. Fuir, ne pas se retourner et advienne que pourra !
Tout ce beau rêve s’était pulvérisé aujourd’hui lorsque le spécialiste lui avait annoncé d’une voix monocorde qu’il était foutu. Et pas qu’un peu…
– Je viens de recevoir vos résultats. Ils sont désastreux. Vous avez un cancer métastasé. C’est sans appel.
« Sans appel »… Pour un avocat, cette expression avait un petit je-ne-sais-quoi de cynique. Tentant s’accrocher à  un espoir à  peine diaphane, Maître Fuerte gémit :
– Et avec des rayons ? Une opération peut-être ?
Le spécialiste secoua gravement la tête. L’avocat en resta sonné. Mais ce n’était pas tout. Le diagnostic n’avait pas fini de déroulé ses rails abjects.
– De plus, votre taux de cholestérol est épouvantable…
À ce moment précis, l’avocat faillit éclater de rire. Quelle idiotie ! Lui reprocher son gras alors que le crabe lui rongeait les entrailles. Mais le ricanement de Fuerte s’étrangla pour se muer en un pitoyable sanglot.
– Il me reste combien de temps à  vivre ?
– Très peu… Maintenant, je dois vous quitter, d’autres patients m’attendent.
L’avocat se retrouva dans son bureau sans savoir où il avait trouvé la force de se mouvoir. Surtout, ne rien laisser transparaître. Son stagiaire, un certain Hass, se montra particulièrement obséquieux.
– Vous paraissez fatigué, Maître. Vous n’êtes plus vous-même.
– Sans blague, songea Fuerte, si tu avais reçu une telle nouvelle, je ne suis pas sûr que tu aurais pavané autant, petit crétin…
Hass poursuivit impitoyablement la conversation.
– Maître Fuerte, je pense que je suis prêt pour devenir un avocat à  part entière.
Son supérieur eut un rictus mauvais.
– Vraiment ? Sachez que je reste persuadé, personnellement, que vous n’êtes pas prêt. Vous n’êtes pas assez mûr.
Hass haussa les épaules comme s’il savait que, de toute manière, son but était d’ors et déjà atteint. Comme s’il connaissait la fin prochaine de son vis-à -vis. Fuerte ne tenta même pas de se mentir. Lui mort, ce misérable opportuniste de bas étage prendra sa place. L’avocat n’avait jamais compris comment ce… cette petite chose avait pu attirer les regard. Fuerte avait constaté que la plupart de ses concurrents étaient morts de trac le jour du recrutement. Les autres furent ternes, lui fut brillant de mille feux. Et il se fit remarquer. Il fut choisi sans que les patrons n’eussent à se poser beaucoup de questions. Forcément, Fuerte était le meilleur. Que ce petit avorton de Hass ait pu franchir la grande porte… Ceci était incompréhensible. Mais en ce jour, les sentiments qu’éprouvait l’avocat vis-à -vis de son subalterne glissaient d’un mépris furieux vers une haine glaciale.
Puis il y eut le tribunal… Cette remontrance insidieuse et obstinée du juge… Cette impression épouvantable qu’il étouffait. C’était le cancer, le crabe, le cholestérol, le gras qui l’étranglaient. C’était ce misérable Hass qui l’écrasait sous sa botte carriériste. C’était le prétoire entier qui l’effaçait définitivement du monde des vivants et qui le dévisageait comme s’il avait perdu la tête… Alors Fuerte en eut assez. Ce fut à ce moment qu’il sombra dans l’inconscience.
Lorsqu’il reprit ses esprits, il se crut être encore entre les murs de son lieu de travail. L’ambiance était aussi aseptisée. Trop de blanc, trop froid, trop sombre la plupart du temps. Mais Maître Fuerte se rendit compte qu’il n’était pas seul.
- Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Je vous connais ?
Son compagnon sourit avec dédain.
– Vous êtes ici. Vous me connaissez parce ce que je suis… toi.
La familiarité finale aurait fait bondir Fuerte si celui-ci avait été d’attaque. Mais à  ce moment précis, il ne pouvait que se laisser emporter par une folie salvatrice.
– Vous êtes moi ? Tant mieux. Je commençais à  me sentir un peu seul avec mes problèmes de…
L’autre le coupa ironiquement :
– …avec NOTRE crabe, NOTRE graisse ? T’a-t-il dit que NOTRE taux de sel avait de quoi faire frémir des morues séchées ? Il a oublié cette bonne nouvelle ?
– Pourquoi me dire tout ceci ? Je suis foutu… NOUS sommes finis. Quel est l’intérêt de cet ultime cauchemar ?
– C’était juste pour rire. Adieu, mon frère jumeau, ma moitié…
Engourdi, le célèbre avocat Fuerte s’enfonça résolument dans cet océan d’aberration et oublia tout.
***
– Mon amour, c’était délicieux ! Vraiment, tu t’es surpassée, ce soir !
– C’est gentil ! Tu veux l’autre moitié, mon chéri ?
L’homme acquiesça. Et son adorable femme lui servit l’autre moitié de Fuerte, un savoureux avocat au crabe avec de la mayonnaise.
Alors ?
Belle conclusion!!, on s’y attendait pas!!! Bravo!!!
L’auteure! L’auteure! L’auteure!…Génial!!
Ah ah … tu t’es effectivement surpassée ce soir!
Bravo!
Wouhaaa! Effectivement, c’était génia! J’ai été, comme un certain avocat, littéralement scié en deux!
Bravo, on en veux encore!
ca dechire sa race !!!C’est pour quand le bouquin??
Trop de la balle!!!C’est pour quand le bouquin?
Comme un vulgaire petit poisson des cheneaux néophyte, j’ai mordu à pleine gueule dans ce bel hameçon si bien appâté. Bravo !
Ben là , BRAVO ! Ca se lit d’un train, on est captivé … Style dynamique, vivant, actuel, avec une belle chute juste ce qu’il faut de tordu, non tordu à la 1ère lecture mais plus j’y repenses, plus je trouve cela véridique, salvateur et original. Bien trouvé…Bien écrit…Tout ça à partir d’un avocat…???
Merci !!! Vos commentaires m’ont fait chaud au coeur ! Bon, avec les 32 °C ambiants, mes autres organes ont aussi tendance à bouillir… 🙂
J’en ai d’autres de ce style sous le coude. Le tout est de savoir si j’arriverai à vous surprendre encore !
Oh ma grande scrogneuneuse préférée, j’ai l’infime honneur de te dire que tu es… taguée!
Vas voir mon blog, tu comprendras lol
http://surlescheminsduquebec.blogspot.com/2007/05/blog-post.html