Cas de conscience
Scrogn | 17 février 2013Imaginez un début de soirée feutré par une chute de neige. La précoce noirceur hivernale enrobe une demeure qui, jusque là , ne vous semblera en rien différente aux autres. Mais penchez-vous davantage ; même, incrustez-vous sans y être invité. L’intrusion ne sera pas remarquée. C’est que la vie de trois affreux envahit les murs et il ne reste pas beaucoup de place pour le reste. Au mieux, vous resterez tapi dans les recoins sombres et poussiéreux que mes enfants auront grand soin d’oublier lors de leurs velléités de ménage.
Vous êtes bien installé ? Les coussins de poussières sont confortables ? Bien.
Alors allons-y.
Il s’agit d’une discussion informelle. Des chats vont ici et là , sans se soucier d’un Grumpy valétudinaire.
Grumpy (reniflant) : Je suis enrhumé. C’est grave ?
Scrogn : En principe, non. Mais je connais tes capacités à exagérer tes symptômes et je sais ma propension à angoisser pour vous. Donc, il est possible que tu te sentes mourant grâce à moi. Et il est absolument certain que tu en profiteras grassement.
Grumpy (en mode métaphysique pour terroriser un peu plus sa mère) : C’est grave de mourir ?
Scrogn : En tout cas, c’est une affaire sérieuse. Ça n’arrive le plus souvent qu’une fois dans une vie et ça a des répercussions douloureuses sur énormément de personnes. Tu ne peux plus serrer celui ou celle que tu aimes dans tes bras. C’est une absence difficile à supporter.
Grumpy : La mort, c’est comme aller en prison ?
Scrogn (complètement perdue dans ses deuils) : Que veux-tu dire mon chéri ?
Grumpy : Ben, y’a une amie de ma classe dont le père est en prison pour très, très, très, très, très longtemps. Elle m’a dit qu’elle ne le reverra jamais. JAMAIS.
Arrêtons-nous un petit instant.
Oui, je le reconnais, j’ai eu des cascades de sueurs froides dans le dos. Et si cet homme était coupable d’horreurs sur des enfants ? J’ai eu un véritable essorage du coeur, sentant tout mon sang vouloir fuir dans des recoins inconnus de mon être.
Heureusement, à ce moment, ma formation juridique a pris le dessus : un condamné à perpétuité ressort au bout de dix ans de perpétuité. Au pire.
Maudite expérience professionnelle…
Après ces moments de flottement intenses (si, si, le flottement peut être intense. Essayez de rester sous l’eau dans la mer morte ! Vous m’en direz des nouvelles. Et surtout, vous m’enverrez une carte postale : je n’y suis jamais allée), mes devoirs maternels m’ont rappelée à l’ordre.
Scrogn : Dans ce cas, il faut que tu sois particulièrement gentil avec cette petite amie. Elle doit énormément souffrir de ne plus revoir son papa (et moi, soulagée).
Grumpy : Mais j’ai été très méchant avec elle. Très, très, très, très, très méchant.
Scrogn : Le « très » a beaucoup d’attraits à tes yeux, non ?
Grumpy : Gné ?
Scrogn : Non, rien. C’était un aparté qui ne fait rire que moi. Alors, qu’as-tu fait de si horrible ?
Grumpy (fondant en larmes et en morve) : Elle m’a dit que sa maman cherchait un autre papa. Et je lui ai dit que je ne lui prêterai pas le mien. Mais tu m’as toujours dit que c’était vilain de ne pas prêter ses jouets.