Laver son linge sale en famille
Scrogn | 20 mai 2013Je n’ai pas l’honneur d’avoir de fille. De toute façon, j’ai largement de quoi souffrir m’amuser avec cette meute de mâle.
Mais dans mes rêves les plus fous, j’imagine avoir eu une petite fée délicate, prenant soin de ses affaires avec une minutie exemplaire. Une chambre propre et bien rangée, chaque petit bibelot briqué, tous les vêtements respectant le repassage maternel.
Dans la vraie vie, j’ai hérité d’une bande de barbares. Qui m’ont massacré le sens ménager.
Au début de notre mariage, mon chéri me reprochait de faire des finitions « coton-tige ». J’admets volontiers que je mettais un peu trop en oeuvre la maniaquerie de ma maman. Car dans mon enfance, entre autre, il fallait récurer le sol de la cuisine après chaque repas. Et nous tremblions quand une tache venait souiller le carrelage blanc (évidemment) entre deux repas. Une de mes soeurs a eu la sagesse d’avoir une femme de ménage. Moi, j’ai préféré emmerder ma gang. Jusqu’à ce que la marmaille pousse et me fasse comprendre à l’usure que le ménage, ben, c’est inutile.
Car les affreux (leur père compris) ont quotidiennement des arguments percutants, croyez-moi. À tel point que la salle de bain fraîchement récurée, tient à peine dix minutes… même en leur absence. Une salle de jeu propre ? Oubliez ça. Les jouets épars vous empêcheront de pénétrer dans la pièce de toute façon (mais comment font-ils pour y entrer, eux ?). Vous rêvez d’un salon impeccable. Réveillez-vous. Le cauchemar est bien réel et ces tonnes de bouts de papier vous le rappelleront sans faute. Une salle à manger accueillante ? Ça n’existe pas. La nourriture, pourtant fraîchement tombée par terre, sèche plus vite qu’une feuille de brick. Ne parlons pas de la cuisine, la vision serait trop atroce.
Bref, à la longue, j’ai obtempéré à ce conseil confortable pour sauvegarder le reste de ma santé mentale: ménagez (sans rire) un espace de vie intime à vos enfants sans y mettre vos sales pieds de parents afin que le reste de la maison survive (même si, dans un moment d’égarement, vous payez le loyer en sommes astronomiques pour l’ensemble). Hélas ! J’eus tôt fait de constater avec angoisse que l’espace intime en question représentait la totalité de notre logement. NOTRE logement ? Pardon : LEUR logement.
Vous comprenez ainsi que votre maison ressemble à un gros placard bourré de cochonneries que vous tentez de cacher à la face du monde. Il ne faut surtout pas ouvrir la porte.
Toutefois, dans mon désarroi et malgré mon abdication, je tiens encore le front de la lessive. ‘Fin, bon, on se comprend. C’est bien beau d’avoir à renoncer à tout ce qui ressemble à des soupers entre amis, à des visites des voisins qu’on aime, à trembler quand quelqu’un qui frappe à votre porte, il reste que vos affreux (et vous, avec un peu de chance) auront à se confronter avec les gens de l’extérieur, par nécessité et dans un esprit dingue de survie sociale.
J’ai donc les mains pleines de crevasses à force de pré-laver des vêtements qui ont pour mission de se salir avec des substances inconnues et inquiétantes.
Mais il est un mystère qui demeure, nourri avec un sadisme consommé par des adolescents en feu : pourquoi certains vêtements disparaissent.
Vous savez de quoi je parle, ô parents éplorés. Oui, vous. Vous dotés d’un échalas dont la voix ne semble connaître que les aigus et les graves, dont la vie semble se résumer à des crises d’abattement puis à des périodes d’euphorie aberrantes.
Et comme si votre perplexité ne suffisait pas, il en rajoute, le coquinou.
En effet l’adolescentus vulgaris ne sort de son terrier puant que pour se plaindre de :
– ses parents
– la nourriture ( quelque soit la quantité de légumes ou le temps que vous avez passé pour mitonner le repas)
– la quantité de cette dernière (trop, pas assez, même combat)
– ses parents
– la météo
– les examens
– le prix de la vie (???)
– ses parents
– son vélo
– la pollution
– ses chaussures
– ses frères
– ses jeux vidéo
– ses parents
– les parapluies
– ses cheveux
– la musique que fait jouer ses parents
– les horaires des films
– ses parents
– ses frères
– son acné
– les portes
– les fenêtres
– ses copains de classe
– son réveil-matin
– le parfum (ou l’absence de celui-ci) de son savon
– ses parents
– la vie en général
– les chats
– ses frères
– le chien
– ses parents
– les acariens
– ses parents
– ses enseignants
– ses parents
– l’autorité
– ses parents
– les règles
– ses parents
– ses parents
– ah, et aussi (et surtout parce qu’ils résument tout) ses parents.
Mais il serait faux de croire que l’adolescentus vulgaris ne passe son temps qu’à regimber. Il réclame, exige, somme, ordonne aussi. Surtout le matin. Genre, très tôt. Quand il doit s’habiller et que vous êtes à peine réveillé. Et bien sûr en retard. Ceci donnant cela :
Le Crapulet : Je n’ai pas de culotte !
Scrogn : Regarde dans ta commode.
Le Crapulet : Elle est vide. Il est où, mon pantalon ?
Scrogn : Ouvre ton placard.
Le Crapulet : Y’en a pas, de pantalon. C’est grave si je n’ai pas deux chaussettes identiques ?
Scrogn (pétant joliment les plombs): ÇA SUFFIT !!! Le Crapulet, viens ici. Tussuite, en plus.
Le Crapulet (traînant de la patte): Ouais ? Y’a un problème ?
Scrogn : Je pensais que tu avais mis tout ton linge sale à laver.
Le Crapulet: Ouais. Celui que j’ai trouvé, en tout cas.
Scrogn : Pardon ? Tu m’avais affirmé que tu avais le ménage de ta chambre. Tsé, histoire que je n’y entre pas.
Le Crapulet : Ouais. Pis ?
Scrogn : Ben, nous allons admirer ton oeuvre.
Le Crapulet : Ouais. Pis ?
Bon. Comment vous décrire le bordel la scène ? Certes, je pouvais voir un peu de plancher, le reste, je le devinais. Mais, le pire était tapi sous son lit. Un gros paquet tristement tassé au fond, comme terrorisé par ma venue.
Scrogn : Tu appelles ça une chambre rangée ?
Le Crapulet : Ouais. Pis ?
Scrogn (soulevant les draps d’un lit non fait et découvrant un T-Shirt) : Mais pourquoi tu as laissé traîner ça ?
Le Crapulet : Je ne l’ai pas laissé traîner. Je l’ai déposé là . Ouais. Pis?
C’est l’affreux en question qui a fait une drôle de tête devant son bol de soupe crue (nan, pas un gaspacho), le soir même.
Ouais.
Pis ?