Le voyage de noces (I)
Scrogn | 29 août 2012À l’unanimité, ce mariage fût le plus beau. Du moins depuis les cinq dernières années. Autant dire du siècle. Les amies de Lyse, partagées entre le vert de la jalousie et le rouge de l’excitation, après avoir longuement critiqué d’avance la cérémonie (la demoiselle d’honneur n’étant pas en reste), restèrent subjuguées par tant de féerie de mauvais goût.
Quant aux hommes, bien que leur masculinité les obligeât à rester indifférents, ils avaient reconnu, à contre-coeur, que la journée fût hautement plaisante et la soirée, une véritable réussite.
Luc, le marié, n’en attendait pas moins du sens redoutable de l’organisation « lysien ». Après tout, ils s’étaient choisis l’un et l’autre pour être parfaitement complémentaires. N’était-ce pas la définition inhérente du mariage? Lyse transcendait l’égoïsme crasse de son mari pour le rendre admirable aux yeux de la société tandis que Luc veillait à transformer l’amertume abyssale de son épouse en une qualité charitable.
Oui. En vérité, ils s’étaient bien sélectionnés. Question de survie d’une race persuadée que le monde disparaîtrait sans eux. À défaut d’avoir des enfants (quelle horreur !), ils voulaient régner en maître de la bonne pensée sur leur entourage et assénaient une fin de non-recevoir à de vagues connaissances qui avaient eu l’idiotie de leurs poser des questions. Voyons, voyons ! Pourtant, tout est si limpide ! C’est de la mauvaise foi ! Tu fais exprès de ne pas comprendre ? Tout ceci largement nappé de reniflements hautains et d’airs apitoyés, faute d’argument.
Mais ils se gardaient bien de répondre sur le fond. Certainement parce qu’ils étaient loin d’en connaitre la profondeur. Ou l’étendue.
La cérémonie en tant que telle fût courte. Très courte. Quasiment inexistante. Il ne s’agissait pas de se marier pour la vie aux yeux du monde. Juste d’une énorme mascarade pour prouver à leurs amis qu’ils avaient la fête dans le sang. Ainsi fût-il.
Luc aurait pu jurer par la suite qu’il avait été sincère lors des échanges des voeux. Tout comme celui qui se prend un coup de marteau sur les doigts. Sitôt l’impression disparue, l’envie de bricoler autre chose envahit les membres.
Lyse aurait pu jurer par la suite qu’elle avait été sincère lors des échanges des voeux. Tout comme celle qui arbore la même tenue que sa meilleure ennemie sans lui en vouloir. Sitôt la soirée terminée, en secret, l’envie d’étriper sa rivale revient au galop.
Une étincelle sans futur.
Mais ce jour-là , il fallait paraître. Uniques. Et ils le firent de façon magistrale. La robe de Lyse, sublimement indécente, avec cette pincée de classe eut l’heur d’horrifier avec admiration la partie féminine de l’assemblée. La tenue de Luc avait ce petit quelque chose de vulgaire porté avec affront. Et qui dit affront, dit à la mode et dit tout.
Bref, le spectacle fut parfait.
Et, sous une pluie de pétales de roses confites par tant fiel, ce couple partit triomphalement en direction de leur voyage de noces, non sans avoir prodigué des tonnes de conseils méprisants aux acteurs des prochains mariages. Ils étaient ainsi. Toujours prompts à emmerder le monde avec leur façon de pensée unique si immaculée.
Les invités, sincèrement soulagés, agitèrent joyeusement les mains lorsque la calèche s’élança en direction de l’hôtel du nouveau couple officiel. Au moins, la malheureuse assemblée aurait la paix pendant quelques jours. Mais tous savaient que Lyse et Luc reviendraient beaucoup trop tôt. Avec leur condescendance habituelle et leur incroyable capacité de pourrir la vie des autres.
Pour leur voyage de noces, les jeunes mariés se rendirent dans une petite bourgade réputée pour son farouche esprit écologique. En parfaite adéquation avec leur façon de voir. En avion, bien évidemment. Puis en voiture. C’était plus pratique. Ils avaient tout de même des bagages.
Ainsi, ils purent exaspérer un village entier de leur bonne parole. Une vielle dame cassée en deux par tant d’années d’efforts, eut un sermon pour s’être servi d’un tuyau d’arrosage plutôt qu’un bac de récupération d’eau de pluie. Un agriculteur dut se confesser d’avoir utiliser un tracteur plutôt qu’une faux pour son champs. Une factrice eut une pénitence pour avoir privilégié sa vielle camionnette plutôt qu’un vélo, lors de la distribution de ses dizaines de kilos de courrier. Une mère de famille de quatre jeunes enfants eut l’excommunication pour avoir pris le volant de sa voiture, à la place de l’autobus, afin d’acheter ses provisions pour une semaine.
C’est qu’ils étaient féroces, ces fanatiques de la bonne pensée.
À tel point que la propriétaire de leur maison d’hôtes finit par hurler dans son torchon et se mit à leurs chercher frénétiquement un autre point de chute. Un matin, elle eut enfin le courage de leurs suggérer l’impensable pour une commerçante: aller ailleurs. Avec une diplomatie exquise, elle leurs indiqua un magnifique et vieux manoir à moins de cent kilomètres. Un site très intéressant tant par son écrin pittoresque que par son histoire des plus « vivantes ». En effet, on affirmait avec force que cet endroit était hautement hanté.
Avec un petit sourire dédaigneux, le couple accepta de tenter cette expérience originale.
» Nous allons démystifier cette pitoyable arnaque en une seule nuit, se disaient-ils. Et nous pourrons montrer à toute cette bande d’idiots finis qu’on ne peut pas nous berner aussi facilement. »
L’hôtesse eut la même impression de délivrance que les invités du mariage lorsque Lyse et Luc prirent enfin la route. Elle les salua avec un enthousiasme semblable aux invités du mariage et tandis qu’elle avait encore la main levée, il se mit à pleuvoir. Le ciel semblait vouloir laver la région de leur odieuse présence.
En cheminant sous une averse qui eut l’outrecuidance de devenir de plus en plus crue, les deux époux devisèrent sarcastiquement sur ce qui les attendait. Forcément, ces malheureux ne comprendront rien à la Bonne Parole que Lyse et Luc auront l’immense bonté de leurs prodiguer. Même, ces attardés y seront réfractaires. C’est qu’il était horriblement difficiles de leurs défaire de leur bon sens millénaire. N’avaient-ils pas compris, ces pauvres incultes, que leur histoire, leurs coutumes, toutes leurs petites histoires chuchotées au coin du feu, du coin de l’oeil ou au coin d’une rue faisant vibrer les tripes de villages entiers, devaient être enfin expurgées du temps d’avant. Le squelette même d’un petit coin de pays devait être démantelé.
Non. Ce qu’il leurs fallait, à ces demeurés, c’est la vérité. Du moins celle de Lyse et Luc.
En cours de route (et surtout parce que la tempête enflait), ils condescendirent à s’arrêter dans une petite auberge à quelques minutes de leur futur point de chute. Avant même d’en avoir franchi le seuil, ils décidèrent que le repas serait immangeable, le vin imbuvable, le service inexistant et les commensaux imbéciles.
Si, à la fin du repas, leur jugement n’avait pas changé sur la majorité de leurs préjugés, ils firent une entorse sur l’alcool.
» Pas si atroce, les bouteilles de cette piquette. Quasiment potable. » fit Luc.
» Compte-tenu du niveau de ces pauvres gens, nous pouvons nous estimer heureux d’avoir eu un breuvage presque buvable. » répliqua Lyse.
» Par contre, pour le reste : quelle horreur ! »
» Ouais. Effectivement. Mais puisque le manoir n’offre que le coucher et le petit-déjeuner, nous devrons nous contenter de cette calamiteuse cantine. »
Et tous deux de soupirer avec découragement dans l’habitacle de leur véhicule de location qui était à mille lieues de leurs attentes (d’ailleurs la préposée, en larmes, avait posé sa démission après leur passage). Mais il fallait profiter de la météo momentanément clémente pour foncer à leur site de villégiature. Les nuages semblaient déjà se rassembler au-dessus d’eux pour une autre charge rageuse et orageuse.
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